Two Spirits, de Russel Martin & Lydia Nibley

Fiche technique :

Titre : Two Spirits

Réalisé par Lydia Nibley

Ecrit par Russel Martin & Lydia Nibley

Produit par Say Yes Quickly Productions, Riding the Tiger Productions & Just Media

Année : 2010

En 2001, Fred Martinez, jeune adolescent de 16 ans, est brutalement assassiné dans la ville où il vivait, à Cortez, dans l’état du Colorado. Fred Martinez a été tué, car il était un jeune navajo, mais aussi parce qu’il était un nadleehi… Un Deux-Esprits. Il était la victime parfaitement désignée dans une zone où la haine raciale et homophobe n’a jamais disparu. Dans les années 2000, hélas, encore…

Le DVD que nous vous présentons aujourd’hui est en fait un documentaire qui, tout en retraçant les évènements autour de ce drame, évoque la tradition des Deux-Esprits dans les cultures amérindiennes. De nombreux témoignages de natifs américains (issus de diverses tribus), mais aussi d’activistes, d’artistes et amis de la famille sont réunis sur ce documentaire exceptionnel. En réalité, il déborde de tant d’authenticité et de beauté, qu’il est bien prétentieux de vouloir le résumer en quelques mots…

La première chose à signaler, et qui est très appréciable, c’est que pour une fois, la parole est donnée à des amérindiens. On peut souvent lire des ouvrages ou des articles, voir des vidéos à propos des cultures traditionnelles des peuples premiers des Etats-Unis, mais ce n’est que trop rarement qu’on peut voir, de l’intérieur, de véritables « autochtones » s’exprimer. C’est heureusement le cas ici. On assiste alors aux témoignages d’indiens navajo, yupik, lakota, comanche… Le sujet des « Deux Esprits » est si délicat et sacré que l’inverse aurait pu être gênant. Le mieux, en fait, est probablement de ne pas nous substituer à ceux qui maîtrisent le mieux le sujet, et de vous montrer directement un extrait du documentaire :

En fait, les Deux-Esprits étaient des êtres particulièrement respectés dans les sociétés amérindiennes. Mieux même, ils étaient profondément aimés, sans demi-mesure et sans discrimination, pour ce qu’ils étaient et en tant qu’individus à part entière. Deux témoignages appuient parfaitement sur cet aspect. D’abord, celui de la mère de Fred, qui parle de lui avec tant de dignité et de force, exprimant dans sa langue natale l’amour inconditionnel qu’elle lui porte aujourd’hui encore (surtout à la fin du documentaire, cf plus bas). Loin d’une attitude à la « on t’aime quand même » (genre « on a tiré le mauvais lot à la loterie »). L’autre témoignage allant dans ce sens est celui de Wesley Thomas (navajo), qui nous raconte l’attitude de sa grand-mère à son égard. Là encore, la femme fait preuve d’un amour indéniable, et cela dans la plus grande pudeur et simplicité (c’est bien souvent dans le non-dit et le subtil que s’exprime la plus grande beauté) :

Au-delà de l’amour exprimé dans cet extrait, on comprend également que les Deux-Esprits étaient en réalité des individus au statut très particulier. Tout au long de l’histoire, de grandes personnalités sont apparues, et sont venues en aide à leur tribu. Ils étaient parfaitement intégrés, et jouaient un rôle spirituel, social et médical absolument central. On se rend d’ailleurs compte de l’extrême variété des tâches qu’ils étaient capables d’assumer.  Mais en réalité, dans ce qu’ils symbolisent et ils incarnent, cela va bien plus loin que ces aspects matériels et pragmatiques. La véritable clé de leur essence est parfaitement expliquée dans l’extrait ci-dessous :

Dès lors, on comprend que les Deux-Esprits sont bien plus que de simples individus parfaitement intégrés à la société et à la tribu (ce qui est déjà pas mal en soi). Ils sont, en réalité, des figures centrales de toute la spiritualité amérindienne, en ce sens qu’ils reflètent une partie de l’univers, du cosmos, et surtout de sa capacité d’unification, et donc de stabilité. Le concept même de Deux-Esprits est profondément relié à la cosmogonie, et c’est en ce sens qu’il s’éloigne radicalement de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’homosexualité », ou le fait d’être « gay ». Si ce genre de raccourci est facile, il est hélas très dangereux, car ces deux mots sont dans le vocabulaire contemporain beaucoup trop connotés.

Quoiqu’il en soit, les trois extraits que nous vous présentons ici, ne sont qu’un faible aperçu du contenu exceptionnel de ce DVD. Nous les avons choisi car ils sont parfaits pour présenter et expliquer avec justesse le concept de « Deux-Esprits ». Mais ils ne doivent pas faire oublier une autre réalité : celle qu’aujourd’hui encore, et tout particulièrement dans un pays ultra puritain et parfois bizarrement fermé comme les USA, que la discrimination fait rage. Fred Martinez est mort parce qu’il était considéré comme « homosexuel » par la société blanche, parce que cette société a perdu ses valeurs et le respect envers le genre humain. Ce DVD, c’est aussi l’aventure d’individus qui se sont unis pour refuser l’injuste, c’est aussi une multitude de témoignages de Deux-Esprits contemporains qui nous racontent comment ils ont fini par trouver leur équilibre, c’est aussi l’histoire d’une mère profondément blessée par la perte de son fils, mais qui garde dans le deuil une dignité rarement observée en Occident. Et ses derniers mots, ceux-là même qui clôturent le documentaire, sont particulièrement éloquents : à ses yeux, la nature de son fils n’était pas « vaguement acceptée » (genre « j’ai fini par accepter, parce que je n’avais pas le choix »), elle était profondément sacrée. C’est pour toutes ces dernières raisons que nous évoquons que ce DVD est si remarquable : il ne s’apitoie par sur la situation, il n’est pas misérabiliste ou bêtement critique. Non, il va beaucoup plus loin, car il est porteur de lumière, en nous montrant des individus aussi humbles qu’épanouis, qui avancent, toujours vers un avenir plus radieux.

Conclusion : Trop souvent, en Europe, on croit que les cultures amérindiennes sont en voie d’extinction, et que les indiens vivent parqués dans des réserves, que leurs traditions ne sont plus que du folklore pour touristes naïfs. Ce documentaire, en réalité, prouve merveilleusement le contraire. Si les nations amérindiennes ont clairement souffert de la colonisation, et qu’elles souffrent aujourd’hui encore de discrimination, il n’en reste pas moins qu’un retour à la tradition est en marche. Fred Martinez a été la victime d’une double discrimination : il était indien, et il était Deux-Esprits. L’ignorance et la violence du monde occidental dans lequel il vivait, ont été responsables de sa disparition trop rapide. Mais pour que sa mort n’ait pas été vaine, nous devons maintenant regarder notre passé, pour construire notre avenir…

A voir aussi : Le site officiel du documentaire / Le blog officiel de Richard LaFortune