Titre : Cambodge, le danseur de mémoires
Photos de Georges A. Bertrand
Textes de Philippe Hunt & Olivier Riboton
Editeur : Chaman Editions
ISBN : 978-2970068266
Première publication : 14 décembre 2012
Cambodge, le danseur de mémoires est un ouvrage plutôt original. Sorte de mini-artbook, il réunit différentes photos de Georges A. Bertrand, le tout agrémenté par des poèmes d’Olivier Riboton et des commentaires plus descriptifs de Philippe Hunt. Le tout s’articule autour du traitement de l’art par les Khmers rouges, mais aussi et surtout autour de la préparation minutieuse d’un danseur, qui s’apprête à monter sur les planches pour exécuter son art… Un art qui a bien failli disparaître, mais qui participe aujourd’hui à la renaissance culturelle du Cambodge.
Voilà un livre dont il est bien difficile de parler… D’abord, parce qu’il s’apprécie à bien des niveaux différents. Par l’image, par le texte, par la poésie qui s’en dégage. Le lecteur se posera, tranquillement, au coin du feu, ou à l’ombre des arbres, lové dans son lit, comme il le sent, en somme, pour le découvrir tranquillement, et se laisser toucher par son ambiance. D’un côté, il y a l’image donc. Toutes ces photos, qui nous montrent peu à peu Kakada, ce danseur passionné, qui se prépare à monter sur scène. Tantôt, il s’habille en Anuman (le singe guerrier et voyageur), tantôt, il se travestit, mais toujours avec la même prestance, la même détermination dans le regard. De ses mouvements, de ses gestes, transpire une spiritualité évidente. Le tout est entre-coupé de portraits de prisonniers à l’époque des khmers rouges, mais étrangement pleins de pudeur, et sans violence.
Si on nous apporte finalement peu d’informations sur la pratique de la danse cambodgienne, cet ouvrage est, en somme, une nouvelle preuve que dans les arts et les spiritualités asiatiques, le concept d’androgynie (divine ?) est récurrent. Au Japon, en Thaillande, en Birmanie… On l’a déjà évoqué souvent ici. Dans ce livre, nous n’apprendrons pas grand chose sur les danseurs travestis cambodgiens, sur le rôle qu’ils assument, sur la différence de leur statut avec celui des danseuses, sur les origines de cette pratique. Mais tout ça, peu importe. Car au-delà des mots, au-delà d’une simple description ethno-historique, les auteurs ont réussi un petit miracle : celui de capter quelque chose de fondamentalement pur, de fondamentalement beau. Sans l’intellectualiser. Ce livre ne se lit pas, il se vit. Et pour les plus curieux, voici un court extrait qui devrait vous convaincre de jeter votre dévolu sur cet ouvrage :
« Un de ces êtres (…) qui ne se laissent pas simplement assigner à un sexe, mais circulent entre, ou de l’un à l’autre. Simulation, dissimulation. L’entre – deux – sexes existe aussi dans la religion populaire khmère, dans de vieux rites, à la campagne, que le bouddhisme ne connaît pas. »
Tout est dit. Et un grand merci aux auteurs !
Conclusion : Dans ce livre, tout est entre deux… Entre le texte et l’image. Entre l’art et la répression de la guerre. Entre la virilité d’Anuman et la féminité d’un travesti. L’alternance des séquences, le jeu entre les poèmes et les descriptions, tout est mouvant, fluctuant, mais participe à l’harmonie globale de l’ouvrage. Que cela soit de manière consciente ou pas, les créateurs à l’origine de cet ouvrage ont donc capté, avec beaucoup de pudeur, l’essence même de cette voie du milieu, de ce que les Amérindiens appellent les « Deux-Esprits ». Fondamentalement, on n’apprend rien dans ce livre. Mais en s’ouvrant, en s’y abandonnant, on se laisse alors toucher par toute la sensibilité qui s’en dégage. A découvrir, en toute simplicité.
A voir : le site officiel de Georges A. Bertrand / La page facebook officielle du livre.