Revue : Le monde des Religions, n°58
Titre : Homosexualité, pourquoi les religions la condamnent
Date de publication : mars 2013
Avec la très forte actualité autour du « mariage pour tous », mais surtout la réaction de l’Eglise catholique, il était difficile d’immaginer qu’une revue telle que Le monde des religions n’aborderait pas le sujet. Avec sa couverture très racoleuse, mais aussi son accroche « Pourquoi les religions la condamnent », on ne peut pas dire que la revue fait dans la dentelle. Mais après tout, le sujet est intéressant, et on pouvait espérer trouver quelques réponses sur le point de vue contemporain de l’Eglise et les autres religions sur ce sujet ? C’est donc avec beaucoup de curiosité qu’on s’est lancé dans la lecture de ce dossier.Ne tournons pas autour du pot : au global, ce numéro du Monde des Religions est particulièrement décevant. D’alleurs, l’édito pose le ton, puisque Frédéric Lenoir dit d’emblée que « certains trouveront surprenant qu’avec l’actualité, la revue aborde ce sujet »… Ah… bon ?! En quoi devrait-on trouver ça surprenant ? N’est-ce pas justement le rôle premier et fondamental de la presse, de commenter l’actualité ? Passons, et intéressons-nous plutôt aux articles « de fond ». Le dossier est donc séparé en deux parties : la première, « Pourquoi les religions la condamnent » (c.a.d., l’homosexualité) ; la deuxième, « Points de vue sur le mariage pour tous ».La première partie du dossier s’ouvre sur un article introductif, sur l’acceptation de « l’homosexualité » (pas nécessairement dans son sens contemporain) dans l’Antiquité et en Europe. Ainsi, la journaliste évoque cette pratique dans le cadre de tradition initiatique, de passage à l’âge adulte et de comportements militaires éducatifs. Le sujet est peu approfondi, mais a le mérite de replacer les choses dans le cadre de l’histoire de notre bonne vieille Europe. Car les racines de notre continent remontent avant l’apparition du Christianisme, et il semble que bien des peuples, dans des cadres bien précis, n’avaient aucun problème avec « l’homosexualité ».
Les trois articles suivants s’intéressent, par contre, aux religions principales contemporaines en Europe : Christianisme, Judaïsme et Islam. Et là, le bât blesse. Car de toute évidence, les auteurs des articles maîtrisent mal le sujet, et n’ont pas approfondit la question. D’abord, dès qu’il est question de la Bible, on nous parle de ce fameux extrait du Lévitique. Et puis évidemment, Sodome et Gomorrhe ne sont jamais loin. Si ces passages sont importants et méritent d’être analysés (justement parce qu’ils sont toujours cités), ils sont hélas ici juste « balancés », sans aucun recul. Aucun travail étymologique n’est fait, et pire, les dernières recherches sur le sujet ne sont même pas évoquées. Il y a pourtant de très bons ouvrages, disponibles en français, comme le très en avance Ce que la Bible dit vraiment de l’homosexualité (de Daniel Helminiak) ou le plus récent mais non moins indispensable Contre l’homophobie – L’homosexualité dans la Bible (présentation à venir sur ce site). Hélas, nous ne sommes pas experts de l’Islam, mais il y a fort à parier que des théologiens très avancés dans leur savoir et ayant accès au texte saint dans sa langue d’origine auraient un point de vue beaucoup plus subtil et nuancé que ce qu’on peut lire ça et là. Résultat, ces trois articles nous dressent un portrait peu reluisant des ces grandes religions : peu tolérantes, répressives à travers les âges, limites sexistes dans le sens le plus bête du terme… Pourtant, le Christ et le Nouveau Testament – pour ne citer que celui-là – portent un message de profonde Fraternité… Donc, malgré le sous-titre du dossier, on ne nous explique pas « Pourquoi » les religions condamnent, mais les journalistes tombent finalement dans la facilité de dresser un portrait peu reluisant de ces dernières. Dieu est amour, non ? Alors, pourquoi un magazine tel que « Le monde des religions » en donne une image profondément intolérante ? Il y a une réalité, celle que l’histoire n’est pas forcément reluisante, mais quand on a une audience nationale, n’y a-t-il pas moyen d’essayer de faire bouger les esprits, de casser les clichés ? Le cinquième et dernier article de la première partie du dossier n’est pas beaucoup mieux, et dresse un portrait très simplifié de la situation en « Extrême Orient » : Chine, Japon, Inde… Tout y passe, en seulement trois pages. Difficile d’être précis, en si peu de caractères, surtout quand ces trois pays ont des cultures et spiritualités très spécifiques et différentes les unes des autres. Donc, en résumé, on a eu 3 articles pas très intéressants et bourrés de clichés (pire même, qui radotent) sur notre belle culture judéo-islamo-chrétienne, et à peine un article pour des pays asiatiques pourtant très complexes ? Décidément, en France, on a encore beaucoup d’efforts à faire pour s’ouvrir aux autres…
La seconde partie du dossier (« Points de vue sur le mariage pour tous ») est à peu près du même acabit. Le premier entretien, celui avec Gilles Bernheim, le Grand Rabbin de France, aurait pu être intéressant. Aurait pu, seulement. Car hélas, on n’y trouve exactement les mêmes clichés qu’on a pu lire ci et là. Rien de nouveau à l’horizon… Et puis surtout, finalement, il n’y est question nulle part de religion ou de théologie. On nous parle d’une institution, d’une loi naturelle, d’un système de filiation. Et la religion dans tout ça ? Le point de vue juif sur la question ? En quoi un tel mariage pour tous mettrait sa religion en danger ? Pour sa religion condamnerait soi-disant l’homosexualité ? On n’en saura rien… Les quatres autres intervenants sont professeurs en psychologique ou en éthique, psychanalyste et ethnologues, sociologue des religions… Ils se contentent donc de nous décrire la société, son évolution, de parler de norme, de modèle. Jamais la question de la Religion et de son point de vue n’est abordé. Jamais ils ne nous livrent une autre interprétation des textes saints. Donc, on n’apprendra pas grand chose, par rapport à ce qu’on a pu lire partout. On retiendra tout de même deux entretiens : celui d’Olivier Abel, qui revendique la nécessité de séparer deux débats (celui du mariage, et celui de l’adoption/PMA, afin de bien faire la différence entre les deux aspects) ; et celui avec Danièle Hervieu-Léger, qui remet évidemment en cause la prétendue immémorialité du mariage (et surtout du point de vue religieux), puisque son modèle actuel ne remonte qu’au XIIIième siècle (hélas, le reste de son entretien, une fois encore, parle plutôt de société et d’évolution du monde moderne, que de religion et de spiritualité).
On se retrouve donc avec un numéro bourré de clichés, et qui n’offre aucune analyse originale, aucune vision, et qui du coup, ne fait certainement pas avancer le débat. Il y a tant d’articles plus originaux qui auraient pu être envisagés (un point de vue amérindien sur la question, par exemple ?), des rencontres de gens plus concernés (Philippe Ariño, bien que son propos ne soit pas toujours très cohérent ou facile à suivre, aurait peu avoir sa place dans cette tribune), apporter un éclairage lexical sur les mauvaise interprétations (car mal-traduction ?) des textes-saints, des interviews/rencontres débats entre prêtres et soufis… Les idées ne manquent pourtant pas, et notre site le prouve assez fréquemment. D’ailleurs, on remarque que l’article proposé en supplément en ligne sur le site web du magazine offre une vision beaucoup moins mono-latérale : Homosexualité, les progressistes font entendre leurs voix, met en avant des individus croyants qui se veulent plus tolérants. Si on tombe, pour le coup, un peu dans l’autre extrême (celui d’un militantisme qui risque de trop couper les racines), l’article a le mérite d’offrir un point de vue complémentaire. N’aurait-il pas eu sa place dans ce numéro ? De toute façon, il manque bien une chose, dans tout ça : la voie de l’Harmonie, celle du milieu…
Conclusion : ce dossier spécial du Monde des religions nous a fait l’effet d’un soufflet ! La première partie du dossier n’apporte aucune réponse, dressant un portrait historique classique, mais n’apportant aucun point de vue théologique sur la question, et se contentant finalement de véhiculer les habituels clichés sur l’intolérance supposée de nos religions arabo-européennes. La seconde partie du dossier est… 100% laïque ! Et n’aborde donc pas du tout la question du point de vue religieux. Euh… On s’est pas trompé de magazine, là ? Il y avait tant de choses à faire, tant d’articles à envisager, mais force est de constater que le magazine est passé complètement à côté de son sujet.