Titre : Hosteen Klah, homme-médecine et peintre sur sable navaho
Auteur : Franc J. Newcomb
Editeur : Le Mail
ISBN : 978-290395132
Première publication USA : 1964 (1993 pour la France)
Dans les années 1910, quand les J. Newcomb installe un comptoir commercial près de la de Gallup, ils y rencontrent Hosteen Klah, un homme-médecine particulièrement réputé au sein de la communauté navajo. Très vite, ils se lient d’amitié pour cet indien. Dès lors, tout au long de leur vie, ces colons fréquentèrent Klah et son clan, au fil des années et des saisons. Ils furent alors des observateurs très privilégiés des traditions navajo. Aussi, grâce à l’amitié qui lia Franc J. Newcomb à Hosteen Klah, ainsi qu’à sa passion pour l’histoire et la culture navajo, elle réalisa l’ouvrage ici présenté. Elle y retrace d’abord une partie des souffrances qu’on dues subir le peuple navajo, avant de s’attarder sur la vie de Hosteen Klah lui-même, ainsi que leur rencontre et sa propre vie à elle (n’hésite pas à se tirer la couverture à elle, pour bien se mettre en avant… Bref…).
En réalité, ceux qui s’intéressent spécifiquement au sujet des Deux-Esprits pourront être un peu frustrés, et cela pour deux raisons : la première, c’est qu’avant de rentrer dans le vif de sujet (à savoir, la vie de Hosteen Klah), Franc J. Newcomb retrace longuement sa généalogie. Quasiment la moitié de l’ouvrage est en effet consacré à Chef Narbona (son père) et à la grand-mère de Hosteen. Les éclairements historiques que cela apportent sont en réalité nécessaires pour bien comprendre les qualités extraordinaires dont fera Hosteen Klah tout au long de sa vie.
Mais qui était donc Hosteen Klah ? C’est en 1867 qu’il naît, à Bear Mountain, après que le peuple navajo puisse retourner sur ses terres d’origines. Très vite, on reconnaît en lui un être exceptionnel, et en tant que tel, il reçut l’enseignement traditionnel réservé aux hommes dont la vocation est, pour les amérindiens, d’aider les autres. C’est auprès d’un de ses oncles qu’il reçut cette formation, et qu’il apprit à mener différentes cérémonies religieuses, à entonner les chants sacrés, ainsi qu’à réaliser les peintures sur sable éphémères utilisés lors des dits-rituels. Mais parce qu’il était un Deux-Esprits, Klah appritégalement à tisser (ce qui est traditionnellement réservés aux femmes). Curieux de nature, il alla à la rencontre de nombreux autres hommes-médecine, pour toujours apprendre à mieux maîtriser son art. C’est vraisemblablement poussé par la même curiosité que Klah se rapprocha des Newcomb. Grâce à cette porte d’entrée, les colons assistèrent alors à des cérémonies d’ordinaires interdites aux étrangers : des cérémonies de soin sont surtout décrites ici, et attestent très clairement de la notoriété et de la puissance de cet homme-médecine. Véritablement accaparé par sa vocation, il se déplaçait sur la réserve, dès que le besoin s’en faisait sentir, pour soigner et aider ses compatriotes. Lors d’un passage très surprenant, Franc J. Newcomb décrit même comme Klah les sauva d’une catastrophe naturelle. Tandis que toute la famille est un voiture, un cyclone menace dangereusement leur vie, en se dirigeant directement sur eux. C’est alors que Klah intervint :
« Il s’avança lentement en direction de la masse tournoyante (…). Puis il se pencha et ramasse une pincée de terre (…) qu’il mit dans sa bouche et garda tout en chantant. (…) Soudain, il leva ses deux mains et recracha le mélange directement de sa bouche vers la colonne toute proche, avant de se remettre à chanter d’une voix forte. Pendant un moment, le cyclone s’immobilisa, puis se scinda en deux, la partie supérieure s’élevant pour disparaître dans les nuages bas et noirs, l’autre moitié virant à angle droit pour reprendre en tournant sa destination originelle. »
Cet ouvrage, bien que parfois incomplet et imprécis, fourmille ainsi de petites anecdotes passionnantes, ainsi que d’exemples très concrets du rôle majeur que jouait Klah, en tant que Deux-Esprits et homme-médecine, au sein de la société navajo. Mieux même, on se rend compte à quel point les amérindiens vivaient en harmonie avec la Terre et leur entourage, et de quelle manière le contact avec les colons fut très paradoxal, compliqué… et souvent destructeur (Klah exprime parfaitement cela lors de son voyage hors de la réserve). A ce sujet, on se doit de s’attarder sur un aspect bien précis de l’ouvrage… En effet, les Newcomb ouvrirent sur la réserve un comptoir commercial. L’une de leur préoccupation, bien qu’elle ne soit que peu évoquée, était clairement de subvenir à leurs besoin, d’un point de vue purement financier. Et quand Franc J. Newcomb réalise que Hosteen Klah est un tisseur hors-pair, tout s’enchaîne. Commercialisant parfois les tapisseries de son ami, elle va même jusqu’à l’inciter à reproduire certaines peintures de sable (pourtant sacrées et secrètes) sur certains tapis. Tapis qui, selon elle, avaient pour vocation d’être avant tout décoration murale, mais aussi de sauvegarder le savoir navajo que Klah avait accumulé. Selon elle, en effet, les traditions tribales étaient en perte de vitesse, et nombre d’entre elles risquaient de disparaître à la mort de Klah. C’est ainsi que la femme réalisa de nombreuses reproductions des peintures de son ami homme-médecine, lui demanda d’en réaliser des tapis, et qu’elle contribua même à ouvrir un musée pour réunir ses créations reprenants des peintures sacrées.
Cela étant dit, il est tout à fait légitime de se demander comment Klah réussit à faire accepter la présence de ces blancs au sein de cérémonies aussi sacrées et secrètes (et c’est là tout le paradoxe des rencontre inter-culturelles qui eurent lieu lors et après la colonisation). En tant que Deux-Esprits, Klah était un homme-médecine particulièrement respecté, et on peut suspecter que cela l’aida à convaincre ses contemporains. Bien au-delà, en réalité, il y a fort à parier que sur bien des aspects, Franc J. Newcomb se leurre complètement. D’abord, lorsqu’elle évoque avec fierté le fait que Klah venait l’aider à se souvenir et reproduire les peintures de sable… L’homme-médcine, en réalité, lui faisait sûrement inclure sans qu’elle ne s’en rende compte de nombreuses erreurs, de faux-détails, qui en désacralisait la nature, qui les rendaient alors non-fonctionnelles (et par conséquent sans véritable valeur). Et ce genre d’exemple sont nombreux dans l’ouvrage. Franc J Newcomb, trop sûre d’elle-même et un poil condescendante vis-à-vis de Klah (le prenant d’une certaine manière pour un « indien naïf ») n’a vu les choses qu’à travers l’ornière de son propre égo. A ce propos, et pour parfaitement illustrer notre propos, nous retiendrons un extrait de l’ouvre (page 149), dans lequel Franc J. Newcomb évoque une étrange adoption :
« Des Navahos m’assurèrent que Klah avait introduit Arthur dans son clan en tant que neveu, mais je doute qu’aucun rite n’ait jamais été célébré pour cela. Il s’établit entre les deux hommes une solide amitié qui dura jusqu’à la mort de Klah et au sein de laquelle je fus acceptée. »
Ce très court extrait résume parfaitement, aussi bien la réalité de la situation, que la naïveté et l’arrogance de Franc J. Newcomb (qui nie ouvertement l’évidence qu’elle a sous les yeux)… Dans l’ombre de cette femme très imbue d’elle-même et qui se met toujours en avant, on trouve un mari plus discret (en tout cas dans le livre), mais qui a probablement eu accès à une intimité très différente avec Klah. Mais tout cela, nous n’en saurons pas plus.
Conclusion : ce livre est le seul disponible en français à réellement mettre en avant un Deux-Esprits. Son point fort est qu’il parle avant tout et surtout d’un homme-médecine vertueux, et que son aspect double n’est que peu mis en avant (l’hermaphrodisme supposé de Klah n’est évoqué qu’une seule et unique fois, et ce de manière très succincte). En cela, l’auteure évite tous les clichés et dérives de certains militants inutilement bruyants et revendicateurs. Ce livre est, de ce point de vue, parfaitement accessible au grand public. C’est alors une parfaite introduction, toute en douceur, au sujet des Deux-Esprits (doublé d’un témoignage historique tout à fait passionnant). A l’inverse, parce qu’il est écrit par une femme très imbue d’elle-même, qui n’a jamais cherché à approfondir la question, et qui n’a finalement pas compris grand chose à certains aspects des cultures amérindiennes, il ne rentre pas dans le détail de certains aspects essentiels. Il faudra pour approfondir la question se tourner, dans un second temps, vers d’autres ouvrages.
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