Le preneur d’âmes, de Frank Herbert

Fiche technique :

Titre : Le preneur d’âmes

Titre original : Soul Catcher

Auteur : Frank Herbert

Editeur : Pocket

ISBN : 978-2266189637

Charles Hobuhet aurait pu vivre une vie d’Américain ordinaire. D’origine amérindienne, plutôt cultivé et bien intégré dans la société des blancs, il semblait promis à un « bel avenir ». Pourtant, suite au viol de sa soeur, il entend l’appel des Esprits de son peuple. Dès lors, il devient Katsuk, inspiré par le Preneur d’âme, et réclame que le peuple blanc expie ses fautes, via le sacrifice d’un innocent, dont le sang versé permettra de rétablir l’équilibre du monde. Il enlève alors le jeune David Marshall, et l’emmène au plus profond d’une forêt. Mais pour que le sacrifice ne soit pas qu’un vulgaire meurtre, il faut que la victime en comprenne le sens profond et accepte d’être immolée sur l’autel de la bêtise de son peuple. Tandis qu’entre Katsuk et David, d’étranges liens d’amitiés se mettent en place, tout le système policier « blanc » se met en branle pour retrouver l’adolescent avant qu’il ne soit trop tard…

Sans aucun doute, dans la bibliographie du très connu Frank Herbert, Le preneur d’âmes est un véritable OVNI. Il semble d’ailleurs que ce roman n’a pas rencontré de succès, et est souvent objet de vives discussions parmi les fans de l’écrivain. La fin, très abrupte, notamment, semble particulièrement controversée. Pourtant, très paradoxalement, à en croire les propos du fils de l’auteur dans Dreamer of Dune (la biographie que Brian Herbert écrivit à propos de son père – non disponible en français), ce livre est l’un des plus importants de sa bibliographie ! Pourquoi, alors que ses lecteurs semblent tant le décrier ? Si nous ne connaissons pas les raisons qui ont poussé Brian  Herbert à mettre particulièrement en avant ce livre, nous avons en tout cas notre propre vision à ce sujet. Car d’après nous, ce livre est bien plus qu’un polar ou récit policier, comme présenté par son éditeur (qui va même jusqu’à le mettre dans sa collection « Science-fiction »… Ineptie !!!). Il s’agit en réalité un magnifique roman initiatique…

Dans toutes les cultures traditionnelles, le passage de l’enfance/adolescence à celui d’individu à part entière de la société était marqué par une période d’initiation, au cours de laquelle un adulte/mentor prenait en charge le jeune, l’emmenant souvent en voyage, à l’écart de sa famille et du reste de la civilisation. Que ce soit en Afrique, en Grêce antique, ou même chez les Amérindiens. On aura bien évidemment l’occasion de revenir sur ce sujet fondamental dans certaines présentations à venir. Au regard de cela, Le preneur d’âmes fonctionne très précisément comme une récit initiatique, au sens propre et traditionnel du terme : bien que Katsuk soit un criminel, et qu’il kidnappe David contre son gré, il joue précisément le rôle du maître initiateur. L’emmenant dans les bois, il le met en contact avec un autre univers, le fait grandir de force, lui apprend à observer le monde différemment, avec plus de lucidité, et il lui enseigne même des savoirs ancestraux pour survivre seul dans la nature.

Signalons aussi que Katsuk donne à cette occasion un nouveau nom au jeune David (celui de Hoquat). Ce procédé est typique des initiations de passage à l’âge adulte, et c’est justement un rôle qu’on attribue aux Deux-Esprits dans les sociétés amérindiennes traditionnelles. Attention cela-dit, il n’est dit nulle part ici que Katsuk est un Deux-Esprits, mais la relation fraternelle qui naît entre lui et David, et surtout son rôle de mentor, font que ce roman est particulièrement intéressant et en miroir avec le sujet qui nous intéresse sur ce site.

Quoiqu’il en soit, tout fonctionne ici sur un jeu d’opposition, de rivalité : d’un côté, il y a le monde des hommes blancs, celui de la modernité, de la sécurité, mais qui est aussi celui de la mort de la conscience, qui emprisonne les individus dans des vies ternes et sans couleur. De l’autre, il y a bien évidemment celui des amérindiens, empli de connaissance, de traditions et de pouvoir. Un monde dont nous avons oublié l’existence et qui pourtant fait de nous de véritables êtres humains accomplis. En enlevant David et en l’entraînant dans les bois, Katsuk l’initie à cet univers. Ce qu’il y a de très intéressant, c’est que finalement, David, tout comme Katsuk, sont des passeurs. L’un comme l’autre finissent par connaître les deux univers ; Katsuk, bien qu’il soit amérindien, a été élevé « à l’occidentale » – David, quant à lui, va découvrir un mode de pensée ancestral. Leur rencontre est donc à la croisée des chemins, à la croisée des peuples. Le but ultime du sacrifice de David est justement de lever le voile du silence sur la réalité, afin d’entamer un dialogue entre les deux civilisations, pour qu’un rééquilibrage se produise. De manière métaphorique, on retrouve donc cette thématique d’une force qui unifie le monde, au-delà de ses dualités. Cette force est symbolisée par la relation fraternelle qui lie David et Katsuk.

L’irréversible conclusion, annoncée dès le départ comme inévitable, fonctionne alors comme un magnifique point d’orgue à cette histoire d’amitié entre un maître et son disciple. David Marshall accepte son destin et de mourir. Mais il ne le fait pas pour les raisons que Katsuk souhaite à l’origine (c’est à dire, pas pour expier les fautes de son peuple). C’est parce que le danger est imminent, que la vie et la liberté de son « agresseur » sont menacées, pour lui laisser le temps de fuir, qu’il accepte sa mort… Mieux même, il lui supplie de le tuer. Cette acceptation est en réalité un acte d’amour pur envers Katsuk. Alors que ce dernier l’a arraché de son quotidien, alors que ce dernier l’a parfois traîné dans la boue et l’humiliation, le jeune David est prêt à se sacrifier au plus vite et pour lui permettre de s’enfuir… Bien évidemment, la mort de l’adolescent est autant réelle que symbolique : elle le libère de sa destinée trop tracée et déshumanisée, celle d’un monde blanc complètement déconnecté du Cosmos et de l’Univers, de la spiritualité et de l’éveil des consciences. Katsuk, un adulte et être humain accompli, fait preuve d’un amour absolu en lui donnant la mort, car faisant cela, il se condamne lui même, malgré l’affection qu’il porte envers lui, et lui offre du même coup les clés de l’éternité.

Conclusion : bien qu’il soit très décrié, et ce particulièrement par les fans extrémistes de Frank Herbert, Le preneur d’âmes est sans aucun doute un de ses récits majeurs. Car sous le coup d’une inspiration assez surprenante, il nous livre un récit littéralement initiatique. Cette expression, souvent utilisée trop à la légère, prend pourtant tout son sens ici.

A noter : sur la même thématique de l’initiation, de la libération par la mort, et de l’acte d’amour que cela représente, nous vous invitons à lire la chronique de Vol au-dessus d’un nid de coucou, de Ken Kesey, sur ce même site. A suivre dans quelques semaines, la présentation du Chemin des âmes, de Joseph Boyden, qui achèvera dans un premier temps cette thématique du point de vue amérindien-canadien.

Une réflexion sur « Le preneur d’âmes, de Frank Herbert »

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