Titre : Vol au-dessus d’un nid de coucou
Auteurs : Ken Kesey
Editeur : Stock
ISBN : 978-2234054844
Première publication : 1962 (1963 pour la VF, sous le titre La Machine à brouillard)
L’histoire se déroule dans un hôpital psychiatrique pour hommes. Une infirmière tyrannique impose aux patients un règlement strict et punitif. Mais quand Mc Murphy, un voyou irlandais, y est transféré, le quotidien trop bien réglé de l’établissement va peu à peu s’effriter… On ne présente plus Vol au-dessus d’un nid de coucou, tant ce roman culte est connu. Aussi, serez-vous peut-être un peu surpris de le trouver ici ? Mais étant donné que la narrateur de l’histoire, Browden, est un métisse amérindien… Tant le contexte très fraternel du récit, autant que sa puissante conclusion, font de ce roman une oeuvre qui s’impose d’elle-même sur notre site.
Dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, nous suivons donc l’histoire à travers les yeux de Browden, un métisse amérindien, et issu d’une tribu du Canada. Présupposé sourd et muet autant par le corps médical que par ses congénères d’hospices, il est alors l’observateur privilégié de tous les évènements qui se déroulent dans l’asile, car sa présence, du coup, ne semble déranger personne… Ou plutôt, tout le monde semble faire comme s’il n’existait pas. Pour autant, pour le lecteur, tout passe par ses yeux et sa vision des choses. Procédé très habile de la part de l’écrivain, qui du coup, très vite, nous fait rentrer dans la psyché de son personnage grâce à ses monologues et ses commentaires, tout en posant du coup, très vite et efficacement, la thèse de son livre : l’hôpital est à l’image de la société moderne et capitalisme, du système, c’est à dire, un rouleau compresseur qui ne laisse plus de place à l’humain, et qui enferme les individus dans leur conformisme, en dépit de leurs différences. Mc Murphy, à l’opposé, symbolise à lui tout seul, ce à quoi aspire n’importe qui : la liberté et l’accomplissement en tant que véritable être humain. Il est le grain de sable qui fait stopper la machine, l’ainé prêt à tout pour réveiller ses frères… Y compris à se sacrifier ! La conclusion de cette oeuvre majeure, tout le monde la connaît. Mais elle est particulièrement symbolique de la voie de fraternité et de l’initiation…
Petite digression pour expliciter ce qui va suivre ensuite… Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, on considérait (encore parfois aujourd’hui, pour les trop rares survivants et gardiens de nos mémoires), qu’on ne naît pas, en soit, être-humain, mais qu’il vaut le devenir. Ou plutôt… Qu’un enfant est un enfant, mais que pour devenir un être humain à part entière, il doit se soumettre à un rite de passage, initiatique, qui fera de lui un véritable adulte (= un être humain). Cette manière de penser se retrouve aussi bien Outre-Atlantique qu’en Asie… Et justement, ce rite initiatique, quand il concernait un jeune garçon, ne concernait que les hommes (et vice-versa pour les filles/femmes). D’où l’importance de la notion de fraternité, mais aussi de maître et d’élève. Pour rappel, ce sont justement les Deux-Esprits qui jouaient (et jouent encore aujourd’hui… ?), dans les sociétés amérindiennes, le rôle d’initiateurs.
Ceci étant précisé, revenons donc à notre roman. Mc Murphy donc, à la fin du récit, a l’opportunité de s’enfuir de l’hôpital pour voler vers sa propre liberté, vers un monde de délices matériel. Pourtant, réalisant que cette fuite signerait la fin du libre arbitre de ses co-détenus, il décide de rester, pour mener jusqu’au bout sa révolution silencieuse. Il devra en subir très concrètement les conséquences, et finira littéralement impotent et lobotomisé. « Quel paradoxe ! », me direz-vous peut-être, « Que celui qui refusait de devenir un mouton du système finisse justement lobotomisé »… Quel paradoxe ? Ou quelle preuve d’amour sublime ? Car agissant ainsi, allant jusqu’au bout de ses convictions, Mc Murphy symbolise alors l’espoir, il incarne la figure du grand frère qui se sacrifie pour les jeunes générations, l’aîné qui ouvre la voie à son protégé. Mc Murphy, en choisissant de rester dans l’asile, fait don de sa personne, de lui-même. Il veut reste se battre, pour protéger ses « frères ». En refusant de s’excuser, en continuant à jouer les mauvais bougres, il signe sa fin, se condamne. Mais ce faisant, refusant de se plier, il symbolise alors l’espoir d’un avenir meilleur. Et c’est justement ça, son don, son plus grand cadeau. Après tout, en plein jour, une lumière paraît presque banale… A l’inverse, dans la nuit, en pleine obscurité, la moindre petite bougie ne représente-t-elle pas une énorme lueur d’espoir ? Cet espoir, Mc Murphy l’incarne, dès le début du récit. Mais en étant près à aller jusqu’au bout, en se sacrifiant, en prenant sur lui tout la rage du système, il symbolise alors l’étincelle, celle là même qui permet au feu de s’allumer, et la Vie, le Vraie, de reprendre ses droits.
La preuve évident que son sacrifice n’a pas été vain, c’est évidemment la réaction de Browden… qui paradoxalement le tue ? Cette vision très occidentale ne saurait rendre honneur à l’acte d’amour que cela représente. En effet, en ayant la force d’étouffer un Mc Murphy devenu légume – son propre ami – Browden le libère de ses dernières chaînes, il lui ouvre les portes de l’éternité. Agissant ainsi, courant vers sa propre liberté, il est aussi la preuve ultime que le message de Mc Murphy s’accomplit : tant qu’une lumière persiste dans les ténèbres, rien n’est perdu. Et la vie continue… L’amour que Mc Murphy a porté à ses co-détenus lui a finalement été rendu au centuple par Browden. De toute façon, le lecteur ne peut qu’approuver cet acte d’euthanasie, tant il est évident que l’irlandais n’aurait jamais voulu vivre en « légume ». C’est d’ailleurs ce qui est profondément authentique et touchant dans ce récit : il y a un véritable échange. Et si le monde dans lequel arrive Mc Murphy est aussi froid qu’inhumain, quand il le quitte en passant du côté des défunts, il est déjà en train de s’effriter… Tout espoir est alors permis.
Petite parenthèse, pour finir, à propos du titre du roman. Vol au-dessus d’un nid de coucou… Tel un oiseau qui regarde le monde des humains de loin… Mais après tout, nos esprits et nos âmes ne sont-ils pas que de passage dans ce monde matériel ? Et la mort, justement, nous permet de retourner à notre véritable nature ? Une nature fondamentalement spirituelle…
Conclusion : Ce qu’il y a d’ultimement beau dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, c’est qu’au-delà de cette fraternité sincère mise en scène, l’amour que Mc Murphy a donné à ses co-détenus lui est rendu au centuple… dans la mort et la libération. Ce point de vue pourra surprendre un lecteur occidental trop cartésien, mais d’aucun ne saura trouver l’acte de Browden comme étant cruel. A l’inverse, il s’agît même de la plus belle preuve d’amour qui puisse exister. Mc Murphy, libéré de ses dernières chaînes et du monde matériel, peut alors atteindre son éternité.
A noter : sur la même thématique de l’initiation, de la libération par la mort, et de l’acte d’amour que cela représente, nous vous invitons à lire la chronique du Preneur d’âmes, de Frank Herbert, sur ce même site. A suivre dans quelques semaines, la présentation du Chemin des âmes, de Joseph Boyden, qui achèvera dans un premier temps cette thématique du point de vue amérindien-canadien.
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