Titre : Les dieux dansent à Cibola – Les indiens zunis
Auteur : Jean Cazeneuve
Editeur : Editions du Rocher
ISBN : 978-2268014579 (pour l’édition présentée ici)
Première publication : 1957 (chez Galimard)
Les indiens zuni sont parmi les indiens les plus conservateurs et secrets du continent amérindien. Vivant sur une réserve située sur leurs terres d’origine, ils ont su préserver leurs traditions, en se coupant bien souvent du reste du monde. Leur neutralité leur aura permis, en fait, de se préserver. Jean Cazeneuve, sociologue français mais aussi ex-directeur général de TF1, a eu la chance, dans les années 50, de pouvoir assister à l’une de leur plus importante cérémonie : le shalako. Dans ce livre, il nous en dévoile une description détaillée, tout en nous présentant la société zuni, son histoire et son fonctionnement. Cet ouvrage se sépare en trois parties : la première nous livre des réalités historiques et géographies, sociales et organisationnelle des Zunis ; la seconde s’intéresse à la cérémonie annuelle du Shalako ; la dernière tente d’en interprêter la signification. Si tout est très intéressant pour quiconque s’intéresse aux cultures amérindiennes, nous ne nous attarderons ici que sur les aspects androgyniques et « Deux-Esprits » évoqués par l’auteur.
D’abord donc, au niveau de la société zuni, l’auteur note (page 56) la présence d’hommes qui se comportent et s’habillent comme des femmes, et qu’on appelle les lamana (ou l’amana, ou lhamana ; et qui parfois épousaient des hommes). Jean Cazeneuve est très à côté de la vérité, dans son interprétation, puisqu’il affirme que pour justifier l’orientation sexuelle de ces individus, les autres zunis se contentaient d’affirmer qu’ils se comportent ainsi simplement car ils préfèrent les travaux de femmes… Comme si les autochtones se refusaient à voir la vérité et qu’ils cherchaient à se mentir. Il n’en est rien, évidemment, car on sait pertinemment aujourd’hui que les Deux-Esprits ont toujours été et sont encore particulièrement respectés par les sociétés traditionnalistes amérindiennes. Une fois encore, l’Européen pose un regard bêtement animal sur une institution sociale, traditionnelle et profondément religieuse. D’ailleurs, du point de vue des ethnologues occidentaux, le dernier lamana serait décédé en 1938, et cette tradition n’existerait plus depuis. Il y a fort à parier, en fait, que les zunis, désormais très au courant de l’intolérance de « l’homme blanc », mais aussi très conservateurs, ont préféré cacher cet aspect aux yeux des étrangers, et que cette tradition subsiste de manière très vivace mais non publique. De toute façon, peut-on seulement croire qu’un aspect fondamental de la spiritualité amérindienne aura disparu d’une des tribus des plus conservatrices ?
Et du côté de la cosmogonie et de la mythologie, qu’en est-il ? Là encore, de nombreuses figures androgyniques font leur apparition. Il serait trop long et fastidieux de reprendre ici l’intégralité du panthéon et des légendes zunis. Mais attardons-nous sur un cas bien particulier. Dans les mythes de création du monde, on trouve la présence d’un couple frère/soeur incestueux, qui eurent dix enfants, qui devinrent dix divinités. Pardon ? Un frère et une soeur ? Dix enfants ? Evidemment, chez les Zunis, comme chez nous, l’inceste est un acte réprimandé, et cela s’exprime très clairement d’une manière : après avoir fait l’amour avec sa soeur assoupie, le frère devient hideux, boursouflé et repoussant. Mais voilà, le mal est fait, et sa soeur est enceinte. Elle mettra au monde un enfant sublime… qui porte en lui les semences masculines et féminines. Oui, un hermaphrodite. Qu’on appelle tantôt Kokolamana (cf plus haut, et où « Koko » semble désigner des divinités, soit le travesti divin), tantôt Kokokshi. Mais à l’extrême opposé de lui, ses neufs frères seront hideux, des êtres dont la peau à l’apparence de la boue (à l’image de leur père défiguré depuis qu’il a commis l’inceste). On les appelle Koyemshis, et ils sont les clowns sacrés (qui jouent d’ailleurs un rôle majeur lors des cérémonies). De toute cette fratrie, donc, Kokolamana est un être unique, premier. En fait, on sait peu de chose sur le rôle de cette divinité dans le panthéon, mais aussi dans le reste de la mythologie, car ce sujet reste très secret. On note toute de même que, à l’époque de grandes guerres mythologiques, quand les Ashiwis (les ancêtres des Zunis) luttaient contre des peuples adverses qui avaient capturé plusieurs divinités, Kokolamana fut, a priori, l’un de ceux qui ne s’évada pas. Ce fait est très intéressant, car on sait que les Deux-Esprits, chez les Amérindiens, jouent un rôle d’intermédiaire. Peut-on penser ici que, Kokolamana, a décidé de rester captif pour être comme une sorte de passerelle entre les deux peuples ?
Pour finir, très rapidement, on pourra évoquer les danseurs incarnants les dieux guerriers Salimobya, sont des jeunes gens vigoureux, mais qui portent des kilts aux motifs de papillons et de fleurs. Deux symboles qui sont, très souvent, associés aux Deux-Esprits. Finalement, le principal problème de ce livre, c’est qu’il rentre peu dans les détails et les analyses, et qu’il se contente de décrire des faits, des costumes. Mais Jean Cazeneuve, probablement, ne peut aller plus loin dans son étude. Le lecteur devra donc recouper tout cela avec ses propres connaissances sur le sujet.
Conclusion : ce livre n’est pas à proprement parler un ouvrage sur les Deux-Esprits. Mais parce que le peuple Zuni est l’un des plus conservateur, traditionaliste, mais aussi préservé et secret, il garde encore de nombreux aspects ancestraux de sa culture et de sa religion. Tout au long de cette description ethnologique, nous découvrons alors un monde fascinant, dans lequel la présence d’entités mythologiques androgynes est notable. En fait, Les dieux dansent à Cibola est un parfait complément pour goûter l’ambiance, saisir l’odeur de ce peuple unique, à lire en parallèle de We’wha – The Zuni Man-Woman, déjà présenté sur notre site.