Titre : Prêtre
Réalisé par Antonia Bird
Ecrit par Jimmy McGovern & Cecilia Coleshaw
Avec Linus Roache, Tom Wilkinson & Robert Carlyle
Année : 1994
Greg Pilkington est un jeune prêtre plein de conviction. Lorsqu’il est muté dans une paroisse des quartiers défavorisés de Liverpool, toute sa foi et ses convictions vont être ébranlées. D’abord quand il constatera que son collègue et aîné, le père Matthew Thomas, ne respecte pas ses voeux d’abstinence et vis, en réalité, en concubinage. Mais aussi et surtout quand les confessions d’une jeune fille, Lisa, à propos des abus sexuels qu’elle subit de la part de son propre père, vont lui poser un véritable dilemme de conscience : doit-il respecter ses voeux de silence, ou dévoiler la vérité pour aider l’adolescente ? Dès lors, pris de doute, le père Greg va chercher l’amour… Et quand Dieu ne répond plus, c’est vers les hommes, qu’il se tourne.
Voilà un film dense, et qui pose énormément de questions… Troublant en fait, quand on constate qu’il a été réalisé en 1994. Très en avance sur son époque, il abordait déjà de nombreuses thématiques très d’actualité aujourd’hui : le célibat des prêtres et leur abstinence, l’incapacité du monde ecclésiastique à réagir concrètement face à la misère sociale, mais aussi et surtout la position de l’église sur l’homosexualité.
Père Greg donc, arrive dans sa paroisse avec toutes ses convictions et ses certitudes, et il sera le premier à juger (à raison ?) les compromis d’un père Matthew trop usé, et trop désillusionné pour se battre. Mais peu à peu, le jeune prêtre va également être confronté à la dureté de la société, et aux comportements finalement très peu pieux de ses propres fidèles. Dans un moment de profond doute et de désillusion, il perdra pied et trouvera du réconfort dans les bras d’un autre homme, rencontré au détour d’un bar gay. Tout aurait pu s’arrêter ainsi si, dans un confessionnal, la jeune Lisa ne lui avait pas avoué que son père la force à avoir des rapports sexuels avec lui. C’est le début d’une spirale infernale pour Greg, qui tiraillé entre son devoir de silence et le terrible aveu qu’il vient d’entendre, va être plus que jamais en proie à ses propres doutes. Et personne autour de lui, ne lui répond clairement sur l’attitude à adopter. Sauf cette aventure d’un soir, cet homme, pour qui Greg finira par éprouver de véritables sentiments. Oui mais… l’affaire va finir dans les tabloïds, et son homosexualité étalé aux yeux de tous dans la presse. Et c’est alors que la nature profonde de chacun est dévoilée : l’intolérance des fidèles de la paroisse de Greg, qui le considèrent alors comme un moins que rien (non pas parce qu’il est passé à l’acte sexuel, mais bien parce qu’il est homosexuel), l’hypocrisie de ses supérieurs de l’Eglise qui n’ont même pas le courage de « l’absoudre » et lui « demandent » vaguement poliment de se retirer sans faire d’histoire, mais aussi le manque de compassion d’une mère qui refusent d’ouvrir son coeur dans la souffrance. A travers toutes ces réactions, Antonia Bird donc dénonce très clairement la bigoterie passive mais aussi profondément intolérante de nombreux fidèles. Bien au-delà, elle pointe du doigt l’Eglise qui, plutôt que d’affronter de face les problèmes, tente de les contourner. Dans le cas précis, et malgré la dévotion du père Greg, cette institution composée d’hommes avides de pouvoir ou extrémistes, semble bien déshumanisée. Pourtant, à aucun moment du film, malgré ses doutes et ses souffrances, Greg ne renie profondément sa vocation. Dans ses moments de doutes, personne n’était là pour le soutenir, au contraire, même. Et c’est pour cela qu’il se détourne provisoirement de son chemin…
Face à cette solitude, pourtant, la réponse était sous les yeux de Greg : en la personne du père Thomas. Car pour assumer le sacerdoce, il faut vivre en Fraternité. Mais le père Thomas lui-même dans l’erreur (malgré sa sincérité somme toute relative), et surtout trop militant pour ouvrir les yeux sur les souffrances de son jeune collègue (et se contentant de le juger sur ses abords froids et distants). Ce dernier, heureusement, réalisera son erreur quand l’affaire éclate publiquement, et donnera au père Greg la force de continuer à assumer son sacerdoce. Malgré la haine, malgré le dénis, malgré l’incompréhension et l’hypocrisie. L’absolution finale de Greg interviendra de manière particulièrement bouleversante quand, lors d’un messe, tous se refusent à recevoir le corps du Christ de sa main… Tous, sauf une. Sauf Lisa, qui telle une innocente ayant reçu la révélation, vierge dans son âme mais paradoxalement profondément meurtrie, s’avancera vers lui. Sans mot, sans aucune parole, la Seule et Unique vérité éclate au grand jour : tout au long de l’épreuve que Lisa a subi, le père Greg, malgré son silence, aura été son seul et véritable soutien. Mieux même, de par les épreuves qu’elle a enduré, elle comprend, ressent parfaitement la douleur de Greg, mais également toute l’ironie de ce monde humain. Dans un acte d’amour pur, elle le prend alors dans ses bras, lui redonnant la force de croire en lui-même et sa vocation. Le message est plein de Beauté, de tolérance et d’espoir.
En outre cette dénonciation de l’intolérance de la société mais aussi et surtout de l’Eglise face à l’homosexualité, mais l’un des principaux sujets de ce film, et c’est suffisamment rare pour être noté, c’est aussi celui de la sexualité, tout court, des prêtres. Le père Matthew, donc, a décidé de ne plus essayer de résister à la tentation, et vit secrètement en concubinage avec une seule et même femme. Le père Greg, notre héros, quant à lui, aspire profondément à vivre dans l’abstinence. Sa réaction quand le père Matthew vient le voir, pour lui dire que ce n’est pas si grave d’avoir fauté et que la chasteté n’a pas lieu d’être, est d’ailleurs très claire à ce sujet : pour Greg, la chasteté est une condition sine qua none de sa vocation. C’est d’ailleurs une des vraies forces de ce film : il ne tombe pas dans les clichés, et revendique la nécessité pour les prêtres catholiques d’avoir le droit de se marier. A ce niveau-là, le père Matthew est clairement dans l’erreur, et c’est aussi ce que montre le film. Mais dans ce cas, malgré ses convictions, pourquoi et comment Greg finit-il par passer à l’acte ? Tout simplement parce que, dans ses moments de doute, il ne sait plus comment gérer son amour (un amour dirigé, vers le Divin). Et c’est hélas parce que personne autour de lui, et surtout pas ses supérieurs de l’Eglise, ne lui apporte les vraies réponses dont il a besoin, qu’il se tourne vers l’amour charnel d’un autre homme. Mais quand l’Eglise ne guide pas ses propres prêtres, quelles autres solutions ont-ils ? En lui-même, le film n’apporte aucune réponse à ce niveau. Pourtant, il soulève une question cruciale : peut-on raisonnablement demander à des hommes dédiés à Dieu, aujourd’hui, de vivre dans l’abstinence ? La réponse est oui, en réalité. Car les énergies d’un homme assumant le sacerdoce doivent et peuvent être entièrement tournées vers Dieu. Et si Antonia Bird ne donne pas clairement cette réponse, elle a au moins le mérite de pointer du doigt un fait indéniable : l’Eglise, en tant qu’institution, se refuse littéralement d’aborder le sujet publiquement. Peut-être même a-t-elle perdue certains savoirs, que les peuples autochtones connectés au Cosmos, eux, ont préservé ? Du coup, on ne peut que comprendre les prêtres Thomas et Matthew qui, face à une institution qui n’a plus de sens et qui ne partage plus les véritables initiations avec ses « simples prêtres », ne savent plus vers qui ou quoi se tourner. Finalement, le problème de ces deux héros, et c’est ce que dénonce le film, ce n’est pas qu’ils ont perdu la foi en Dieu, ou en un principe divin transcendant, mais bel et bien en une institution officielle sclérosée qui n’agit plus que pour protéger son pouvoir et ses intérêts. (c’est ce même principe qui est dénoncé dans le tiraillement éthique que subit père Thomas, quand il se force à protéger son voeu de silence. Mais ce n’est plus le sujet de notre site).
Pour finir, quelques mots sur l’édition française du DVD. Hélas, trop ghettoisée dans sa collection de DVD « gay », ce film a du coup trop peu de chance d’être trouvé par le grand public. Par ailleurs, on regrette la piètre qualité de l’image, l’impossibilité d’enlever les sous-titres français de l’image, mais également l’absence totale de bonus concernant le film. On aurait aimer trouver un appareil critique autour de cette oeuvre indispensable, des interviews de la réalisatrice ou des acteurs, par exemple, ou pourquoi pas quelques réactions du monde ecclésiastique ? Bref, malgré l’importance exceptionnel de ce film qu’est Prêtre, on ne peut que regretter de le trouver uniquement dans ce DVD très « cheap » qui ne lui fait pas honneur. Dommage, mais cela ne doit surtout pas vous empêcher d’en faire l’acquisition : trop peu de films sont pertinents sur le sujet.
Conclusion : Au milieu des années 90, Antonia Bird signait donc un film très en avance sur son temps, et qui aujourd’hui encore mériterait d’être connu du grand public. Intolérance, bigoterie, haine, dénis de l’humain… Sans concession par rapport à l’institution figée et déshumanisée qu’est devenue l’Eglise, il porte un profond message d’Amour. La spiritualité et l’accès au Divin ne sont pas l’apanage des hétérosexuels, et dès lors qu’on est sur le chemin du don de soi et du sacerdoce, le partage est l’une des seules voie possible. Et c’est précisément ce que n’a pas compris l’Eglise, qui garde trop précieusement certains savoirs ésotériques… quitte à ne pas permettre à ceux-là mêmes qui veulent la servir, de le faire intégralement. Quel comble…