Titre : Ainsi soient-ils (saison 1)
De Bruno NAHON, Vincent POYMIRO, Rodolphe TISSOT & David ELKAÏM
Avec Jean-Luc BIDEAU, David BAIOT, Clément MANUEL…
Année : 2012
A l’automne 2012, si une série télé a bien fait parler d’elle en France, c’est Ainsi soient-ils, l’une des rares productions françaises « audacieuses », et tentant d’apporter un nouveau souffle à notre paysage audiovisuel. S’intéressant à cinq jeune candidats à la prêtrise, face à leurs doutes et à leur future vocation, cette dernière, si elle a rencontré un très bon accueil du grand public, a été très critiquée par le monde ecclésiastique. Mettant en scène deux personnages homosexuels prêts (ou pas ?) à assumer le sacerdoce chrétien, cette série ne pouvait que nous intéresser… Quelle vision apporte-elle sur l’homosexualité, mais aussi sur sa place dans le catholicisme ? Les auteurs ont-ils su éviter les clichés pour poser les bonnes questions ?
La série a fait couler beaucoup d’encre, et on ne reviendra pas ici sur les sujets qui ne nous intéressent pas directement (clichés sur les jeunes, sur la campagne, vision trop caricaturale de l’institution qu’est l’Eglise catholique etc…). On s’attardera par contre, bien évidemment, sur tout ce qui concerne l’homosexualité, la fraternité, et plus généralement la manière dont la gestion de l’amour et des « pulsions » des jeunes candidats à la prêtrise sont présentés par les auteurs.
Si tout commence de manière plutôt sympathique, dans un esprit de franche camaraderie revigorant et même emprunt de fraternité, tout va basculer dans l’épisode 5. Peu à peu, quatre des cinq jeunes candidats à la prêtrise vont se laisser aller, parfois plus ou moins consciemment, à leurs pulsions sexuelles. La série glisse alors, et enchaîne cliché sur cliché, perdant sa subtilité du début. Pourtant, c’est aussi à ce moment là qu’elle entre dans le vif du sujet qui nous intéresse, et qu’elle soulève des questions que l’Eglise aborde rarement publiquement. Donc, quatre personnages sur cinq partent à la dérive, et vont être sexuellement actifs. Pardon, quatre sur cinq ?! Est-ce vraiment ça, la réponse que veulent apporter les auteurs d’Ainsi soient-ils ? En cas de doute, l’homme n’a que le sexe vers lequel se tourner pour se réconforter ? Quel paradoxe, pour une série qui prétend parler du sacerdoce et de l’engagement des jeunes ! Le sujet est pourtant si crucial, et la difficulté de ce chemin, dans le monde d’aujourd’hui, mériterait bien d’être mise en avant. Mettre en scène des personnages qui doutent, oui ! Mais les faire tomber, tous en même temps, et tous de la même manière, casse complètement le propos de la série. De manière un peu ironique, on pourra dire que ce qu’il y a de positif, c’est qu’au moins, pour une fois, les homosexuels sont présentés comme des individus parfaitement comme les autres : peu importe l’orientation « sexuelle » des hommes, ils ont tous des problèmes de sexe…
De fait, au-delà de ce problème qu’on vient d’évoquer, la série ne répond finalement pas à cette question qu’elle soulève : comment les prêtres, quand ils assument le sacerdoce, font pour le vivre sans frustration physique ? Qu’advient-il de leurs énergies sexuelles ? Si on résumé le propos de la série, il y a d’un côté, les jeunes appelés à devenir prêtres, qui ne règlent leur malêtre que par le bas de la ceinture ; de l’autre, il n’y a que des vieux crapuleux et intéressés par l’argent… Ceux-là, ils semblent pourtant avoir réglé leur problème de sexualité, mais on ne nous dira jamais comment. Par ailleurs, on ne peut que déplorer l’absence d’intermédiaires. Où sont les prêtres en fonction, qui vivent parfaitement ce qu’ils sont, sans aucune frustration ? Ceux-là même qui auraient pu être de parfaits interlocuteurs pour les jeunes héros en quête ? Ils n’existent pas, tout simplement. Ou alors, ils sont désabusés et alcooliques… A un moment seulement, le pauvre Emmanuel, rongé par la culpabilité de son (a priori unique ?) expérience homosexuelle, demande conseille à un de ses professeurs. Mais la réponse qu’il recevra porte uniquement sur le pardon, et le sujet de la sexualité est finalement éludé…
Et justement, l’homosexualité, parlons en… Parmi les cinq jeunes appelés, deux sont donc homosexuels, et vont finir par « tomber amoureux l’un de l’autre ». Evidemment, ils le vivront très mal, et cacheront leur relation aussi bien à leurs camarades qu’à leurs enseignants. C’est à deux, qu’ils trouveront les réponses à leurs questions et à leurs doutes. Mais du coup, la série évite également d’aborder le sujet. Ce qu’en pense le monde ecclésiastique, on n’en saura rien. Ce qu’en pensent leurs amis, cela sera à peine évoqué, et comme pour tout le reste des questions les plus cruciales, aussi rapidement oublié. Ce que les auteurs en pensent eux-mêmes, on ne le saura pas non plus. Du reste, Emmanuel est présenté comme un personnage névrosé, et qui ne rentre sur le chemin de la prêtrise que pour fuir une réalité qu’il n’accepte pas : celle qu’il est homosexuel. Ce choix est donc celui de la lâcheté et du dénis de soi. Finalement, le choix le plus courageux de ce personnage aura été de quitter le séminaire. Dans ce tableau franchement pas glorieux du sacerdoce, reste donc le personnage de Guillaume, l’autre homosexuel. Lui, finalement, décidera de renoncer à son amour pour Emmanuel, et de bel et bien devenir prêtre. Grand bien lui en fasse, et d’une certaine manière, dans ce tableau horriblement pessimiste et négatif, on peut dire qu’il est, en quelque sorte, comme l’une de seules lumières au tableau. Hélas, on remarque aussi que, parmi ses professeurs, tous ceux qui l’encouragent et le voient comme un futur prêtre d’exception, ne savent rien de son orientation sexuelle. Comment auraient-ils réagit face à cette réalité ? Ca non plus, nous ne le saurons pas… Ou l’art, pour une énième fois, d’éviter d’approfondir le sujet.
Conclusion : Ainsi soient-ils n’a pas beaucoup plu au monde ecclésiastique, et on comprend pourquoi : la série propose une vision beaucoup trop caricaturale du sacerdoce. Avec les sujets essentiels qu’elle aborde, on avait pourtant mis beaucoup d’espoir en elle. Mais que ce soit sur le point de vue de l’église catholique à propos de l’homosexualité, de la présence éventuelle de prêtres homosexuels abstinents, ou bien sur la gestion des énergies sexuelles de tous ceux qui portent le sacerdoce, rien ne nous sera finalement dit. Les auteurs, ne maîtrisant manifestement pas le sujet, ont choisi la voie de la facilité, en faisant systématiquement des pirouettes scénaristiques pour faire semblant de répondre tout en évitant le fond du problème. On ne peut alors qu’espérer que la saison 2 permette enfin de rentrer réellement dans le vif du sujet ? Mais on doute de ça, hélas, car finalement, de tout ça, il ne ressort que très peu de spiritualité… Quel gâchis !